:: Superstition : funk vaudou et génie visionnaire
1972. Stevie Wonder n’a que 22 ans et pourtant, il voit plus loin, plus large, plus profond que tout le monde.
Superstition, morceau d’ouverture de Talking Book, n’est pas juste un tube - c’est une incantation funk, un uppercut rythmique, une transe électronique jouée sur des machines à âme.
Tout part de ce riff. Un motif de clavinet Hohner D6 qui claque comme un fouet dans un champ électrique. Une boucle syncopée, déstabilisante, obsédante. Le groove est sale, nerveux, presque inquiétant. Derrière, la batterie (que Stevie joue lui-même) cogne en contretemps, déjoue les attentes, danse sur les nerfs. Le Moog basse rugit sous la peau. Rien ici n’est rassurant, et c’est toute la puissance du morceau : il transforme la peur - celle des superstitions, des mythes, des fatalités - en feu rythmique.
Mais Superstition est aussi un cri politique. Stevie ne parle pas de magie noire. Il parle des mensonges qu’on nous vend : religion frelatée, traditions étouffantes, croyances qui ligotent. “When you believe in things that you don’t understand / Then you suffer” - voilà le cœur du morceau. Une attaque contre l’ignorance, une célébration du doute, un appel à l’éveil.
Musicalement, c’est une révolution. L’union du funk brut et de la technologie. Pas de guitare, pas de cuivre. Juste des claviers possédés. Stevie Wonder, aveugle mais visionnaire, redessine les contours de la soul, du rock, de la pop. Il fonde le son des années 70.
Superstition, c’est le moment où la musique noire américaine explose ses propres carcans et regarde l’avenir droit dans les yeux - ou plutôt, l’invente.