:: Sympathy for the Devil : danse macabre sur vinyle
En 1968, alors que l’Amérique s’enflamme et que Paris vacille, les Rolling Stones larguent leur provocation la plus acide : Sympathy for the Devil.
Ce n’est pas une chanson, c’est une convocation. Jagger n’y joue pas au diable - il l’incarne, suave et goguenard, nous tendant le miroir d’une humanité coupable. Derrière la voix, une samba infernale, tout en percussions tribales et piano cabossé, qui évoque plus les rites vaudous de Port-au-Prince que le Swinging London.
Ce morceau marque un tournant. Les Stones, jusque-là fauteurs de trouble bluesy, entrent dans l’arène politique, brandissant l’histoire comme une arme. Références à la Révolution russe, à la Seconde Guerre mondiale, à l’assassinat des Kennedy : la violence devient chronique, et le rock un journal lucide de ses désastres.
Musicalement, c’est un tour de force. Keith Richards, en funambule, glisse une guitare fluide comme un poignard dans la peau. Le groove hypnotique s’étire, malaisé, presque trop festif pour ce qu’il raconte. C’est là le génie : faire danser sur les ruines.
Le scandale fut immédiat. On accusa les Stones de satanisme, comme si le simple fait de nommer le Mal revenait à l’adorer. Mais cette chanson n’est pas une prière noire - c’est un réquisitoire. Une manière de dire : regardez bien, le diable n’est pas ailleurs. Il est dans les détails, dans l’Histoire, dans les choix qu’on fait. Et peut-être dans le regard complice de ceux qui applaudissent encore à la fin.
Avec Sympathy for the Devil, les Stones n’ont pas pactisé avec le diable - ils lui ont arraché le micro.