:: The Band : les fantômes de Big Pink
Dans la brume d’un été 1968, cinq hommes s’enferment dans une maison rose perdue dans les collines de Woodstock. The Band.
Pas un nom, mais un manifeste : effacer l’égo, redevenir un groupe d’hommes ordinaires. Dylan les a façonnés dans l’ombre, mais à l’instant où Music from Big Pink déboule, la roue tourne. Finie l’arrogance psychédélique, voici revenir l’Amérique profonde - celle qui suinte le bois brut, la poussière des routes, les églises désertes.
Leur musique est une rivière souterraine. À la surface : country, blues, gospel, folk. Dessous : un swing bancal, des harmonies râpeuses, une basse qui boxe et une batterie qui souffle comme un cheval fatigué. Levon Helm, l’accent du Sud, plante le décor à chaque coup de caisse claire ; Rick Danko et Richard Manuel tremblent comme deux cœurs ouverts. Robbie Robertson tisse les récits, mais sans eux ses chansons seraient muettes.
Il y a chez The Band un goût du passé qui n’est jamais nostalgie. Ils ressuscitent l’Amérique des pionniers, des déraillements de train, des champs labourés sous la lune. Ils chantent la tragédie ordinaire, la perte d’innocence, sans jamais jouer les prophètes. The Night They Drove Old Dixie Down résume tout : une guerre, un frère mort, et une voix qui s’éteint dans la poussière.
Quand tout le monde partait vers le cosmos, eux ont creusé sous la terre. Ils ont ouvert la porte à Springsteen, Wilco, toute une Amérique alternative. On les croit figés dans la photo sépia de l’histoire, mais il suffit de lancer Up on Cripple Creek à fond pour que le fantôme de Big Pink vienne encore danser dans le salon.