The House of the Rising Sun : comment The Animals ont capturé l'éternelle chute
1964. Le monde tourne vite. La British Invasion est en plein assaut, mais au milieu des harmonies pop, une dissonance sourde s'installe.
C’est le son de la désillusion, capturé dans les quatre minutes trente-deux secondes de “The House of the Rising Sun” par The Animals. Ce n’est pas un simple tube ; c’est un séisme culturel, une balafre de blues archaïque sur le visage pop de l’époque. La chanson, traînée depuis des siècles de la Nouvelle-Orléans aux Appalaches, trouve ici sa réincarnation la plus noire et la plus définitive.
Techniquement, c’est un coup de maître de l’économie. L’ambiance doit tout à l’orgue Vox Continental de Alan Price. Oubliez les guitares. Ce riff d’orgue hypnotique, en La mineur, évidemment, installe une mélancolie obsédante. Eric Burdon, lui, n’est pas là pour chanter : il témoigne. Sa voix est un cri écorché, une âme condamnée. La production est brute, presque sale, laissant chaque battement de batterie et chaque glissement de basse (Chas Chandler, essentiel) sonner comme le glas. C’est cette nudité émotionnelle et musicale qui la rend si puissante.
L’anecdote est révélatrice de l’urgence. Le groupe était à Londres, revenant d’une tournée, et Alan Price aurait improvisé l’arrangement à l’orgue pour économiser du temps studio, se basant sur la version de Bob Dylan. Enregistrée en une seule prise, c’est l’un des rares numéros où le légendaire producteur Mickie Most a laissé le groupe dicter l’ambiance, comprenant qu’il tenait là quelque chose de plus grand qu’une simple reprise. Elle a coûté 700 livres et a rapporté des millions d’âmes tourmentées.
Ce morceau, c’est l’essence même de l’errance, le regret qui s’incarne. The House of the Rising Sun n’est pas une chanson, c’est une damnation élégante, le blues qui a compris le rock. Quand j’entends Burdon crier son refrain, je ne pense pas à une maison close. Je pense à la fatalité, à l’incapacité de fuir sa propre histoire. Une claque. Un chef-d’œuvre qui, plus de 60 ans après, nous regarde encore en face, implacable.

