The Queen Is Dead : la couronne brisée des Smiths
Il y a des disques qui ne racontent pas une époque, ils la transpercent. "The Queen Is Dead" (1986) est de ceux-là.
C’est Manchester sous la pluie, mais aussi l’Angleterre qui s’écroule, Thatcher en fond de tableau et Morrissey qui s’avance, gladiateur mélancolique, pour chanter la fin d’un royaume imaginaire. Dès la première chanson, une satire royale gonflée de rage et d’humour noir, on comprend : ici, le groupe n’a plus peur de rien.
Johnny Marr, lui, déroule ses guitares comme des cascades électriques - fluides, tranchantes, infiniment mélodiques. Jamais ses arpèges n’ont semblé à ce point taillés dans la lumière. La production de Stephen Street donne à l’ensemble une clarté presque insolente : chaque note brille, chaque riff respire. Entre les coups de batterie secs de Mike Joyce et la basse charnue d’Andy Rourke, l’architecture est solide, mais tout semble flotter, comme suspendu.
Et puis il y a Morrissey. L’homme qui ose chanter l’échec amoureux comme un acte de bravoure, la solitude comme un étendard. Dans There Is a Light That Never Goes Out, il invente une liturgie pour adolescents perdus : mourir dans un accident de voiture devient l’équivalent d’un hymne à la passion absolue. Qui, en 1986, écrivait ça ? Personne.
Ce disque est à la fois funèbre et incandescent. Un tombeau pour la monarchie et un feu follet pour les cœurs romantiques. Écouter The Queen Is Dead, c’est sentir l’histoire bifurquer, deviner les futurs possibles de la pop indie, de Radiohead à Suede, de Blur à tous les gamins qui, une guitare en main, se sont crus invincibles quelques minutes.
Un chef-d’œuvre qui ne s’explique pas seulement : il s’habite.