The Velvet Underground : l’électricité noire du monde
Ils n’ont vendu presque rien. Mais tout le monde qui les a entendus a voulu en faire un groupe. Voilà le paradoxe sacré du Velvet Underground : un échec commercial devenu matrice du rock moderne.
Dans le New York souterrain des sixties, pendant que les hippies rêvaient de lumière, eux ont choisi l’ombre. La Factory d’Andy Warhol pour décor, Lou Reed pour poète venimeux, John Cale pour savant fou : la collision du brut et du cérébral, du punk avant la lettre et de la musique de chambre déglinguée.
Le Velvet, c’est l’anti-Woodstock. Là où d’autres célébraient la paix, ils chantaient la dépendance, la perversion, le vide. “Heroin”, “I’m Waiting for the Man”, “Venus in Furs” - des prières électriques récitées sur des guitares abrasives et des tambours réduits à l’essentiel. Nico, statue de glace à la voix spectrale, ajoutait la beauté distante d’un rêve malveillant. Ensemble, ils ont peint la décadence comme d’autres peignent la grâce.
Musicalement, tout y est : la dissonance comme arme esthétique, le feedback comme souffle vital, la répétition comme transe. Steve Reich croise Chuck Berry dans une ruelle humide. C’est laid, magnifique, inoubliable. Chaque morceau semble sortir d’une cave où le rock découvre qu’il peut être art.
Le Velvet n’a pas seulement inspiré Bowie, Patti Smith, Joy Division ou Sonic Youth. Il a donné au désenchantement un son, à la marginalité une liturgie. Et Lou Reed, prophète fatigué, a fait du quotidien un poème sale.
Écouter le Velvet aujourd’hui, c’est comme ouvrir une plaie et y trouver de la lumière. Rien n’a vieilli, parce que tout était déjà blessé. Une musique qui ne cherche pas à plaire, mais à dire : voici la vérité nue, amplifiée, distordue.