:: There’s a Riot Goin’ On : l’émeute intérieure
En 1971, There’s a Riot Goin’ On marque un virage aussi radical que déroutant dans la trajectoire solaire de Sly and the Family Stone.
Fini l’utopie multicolore, place à la paranoïa enfumée. Derrière le titre provocant, aucun manifeste - juste un silence de quatre secondes, aussi assourdissant qu’un cri étouffé. Sly Stone, rongé par la coke et le désenchantement, désosse son propre rêve.
L’album ne pulse plus comme les hymnes rassembleurs d’hier : il s’enlise, s’enfume, s’alourdit. Les rythmes s’enchaînent comme des battements d’un cœur malade, étouffés dans une moiteur narcotique. Family Affair devient l’antithèse de Everyday People : groove léthargique, voix détachée, ironie toxique. Tout semble enregistré seul, dans la nuit, sur bande usée - Sly bricolant les morceaux en overdubs, enfermé dans son studio comme dans sa psychose.
Mais ce chaos est une œuvre. L’album capture l’implosion de l’Amérique post-60s : rêves collectifs fracassés, révoltes avortées, foi évaporée. C’est du funk spectral, hanté, révolutionnaire dans sa déconstruction. Le slap-bass de Larry Graham devient plus sale, les harmonies dissonent, les machines grincent - et pourtant, le tout vibre d’une urgence sourde. L’utopie s’est effondrée, mais son écho grésille encore dans les cendres.
Il fallait oser fracasser le groove pour en révéler la tension souterraine. Sly l’a fait, quitte à saborder son propre navire. There’s a Riot Goin’ On n’est pas un appel à l’unité : c’est un journal intime d’un désastre intérieur, un monument de funk décadent, aussi sublime que dérangeant. Une descente aux enfers qui continue de résonner chez tous ceux qui cherchent la vérité sous les paillettes.