:: Walk on the Wild Side : les anges déchus de Lou Reed
C’est une balade lascive, une prière profane susurrée à l’oreille de l’Amérique décadente.
Walk on the Wild Side, sorti en 1972, est une fresque urbaine en cinq portraits, un poème en slow-motion sur les marginaux de la Factory d’Andy Warhol. Lou Reed, ancien cerveau du Velvet Underground, s’y fait chroniqueur des bas-fonds glamour, balançant des couplets doux comme l’héroïne mais acérés comme une lame de rasoir.
Chaque personnage - Holly, Candy, Joe, Sugar Plum Fairy, Jackie - incarne une facette du rêve américain corrompu. Transidentité, sexe tarifé, came, solitude et désir de célébrité se télescopent dans un groove feutré porté par la ligne de basse de Herbie Flowers, doublement payée pour avoir doublé sa partie. Le chœur doo-wop “doo doo doo” vient caresser la violence du propos, comme un sucre dans l’acide.
Sous ses airs nonchalants, la chanson est un coup de scalpel dans le vernis moral des années Nixon. Elle a réussi l’impensable : faire danser la radio sur des vers évoquant la fellation et les transitions de genre, le tout sans jamais hausser le ton. Reed ne juge pas, il observe, il immortalise.
C’est une œuvre d’avant-garde déguisée en tube pop, un hymne à ceux que la société relègue mais que l’art réhabilite. Walk on the Wild Side n’est pas une chanson, c’est un refuge. Un endroit où l’ombre devient lumière, où les exclus deviennent mythes. Et Lou Reed, en funambule du rock, marche au bord du précipice, sans jamais tomber.