(We're Gonna) Rock Around the Clock : l'explosion primitive du rock'n'roll
Nous sommes en 1954. L'Amérique est encore engourdie par la sécurité de l'après-guerre, un monde lisse et en noir et blanc.
Soudain, un décompte sec claque comme un coup de fouet : “One, two, three o’clock, four...” Ce n’est pas techniquement le tout premier morceau de rock de l’histoire, mais c’est assurément le Big Bang culturel qui a tout déclenché. Lorsque ce titre ouvre le générique du film Graine de Violence (Blackboard Jungle), il ne se contente pas de sonoriser une scène ; il autorise une émeute. Dans les salles obscures, les adolescents déchirent les sièges : la jeunesse rebelle a enfin trouvé sa fréquence.
Musicalement, c’est une mécanique de précision déguisée en furie pure. Une structure de blues à douze mesures, dopée aux amphétamines, qui fusionne le R&B et la country blanche. Écoutez attentivement la batterie de Billy Gussak : ce n’est plus du swing, c’est un martèlement militaire, un “backbeat” qui refuse de s’excuser. Et au centre, ce solo de guitare de Danny Cedrone. Une cascade de notes jazz-fusion, rapide, tranchante, qui dévale la gamme comme on dévale un escalier quatre à quatre pour fuir la police.
L’ironie suprême réside dans l’urgence de l’instant. Le 12 avril 1954, au Pythian Temple de New York, la session touche à sa fin et le temps manque cruellement. Pour gagner de précieuses secondes lors de la prise, Cedrone ne compose rien : il recycle note pour note un solo qu’il avait joué deux ans plus tôt sur “Rock the Joint”. Il mourra tragiquement huit semaines plus tard, d’une chute dans un escalier, sans jamais savoir qu’il venait de graver les Tables de la Loi de la guitare électrique en une seule prise recyclée.
Bill Haley, avec sa petite boucle sur le front et son allure de comptable égaré dans une surprise-partie, n’avait rien du sex-appeal d’un Elvis. Pourtant, (We’re Gonna) Rock Around the Clock reste l’instant zéro. C’est le son d’une horloge qui ne sonne pas l’heure, mais l’alarme stridente d’un monde nouveau où les parents n’ont plus leur mot à dire.

