What’s Going On : la prière d’un homme qui ne croyait plus aux miracles
C’est un cri. Un murmure. Un battement d’aile dans le chaos. Quand Marvin Gaye sort "What’s Going On" en mai 1971, l’Amérique est en flammes.
Guerre du Vietnam, ghettos en colère, rêves brisés du mouvement des droits civiques. Et lui, le crooner de Motown, l’homme des amours sucrées, se dresse soudain comme un prophète fatigué. Plus de smokings, plus de sourires. Juste une voix qui cherche la paix.
La chanson naît d’un choc : son frère Frankie revient du Vietnam, brisé. Marvin regarde la rue, les violences, la jeunesse perdue. Il veut comprendre. Pas juger. “What’s going on?” - question simple, vertigineuse. La production, coécrite avec Renaldo Benson et Al Cleveland, glisse entre jazz spirituel et soul suspendue.
Saxophone d’ouverture comme un soupir d’ange, basse fluide de James Jamerson, chœurs fraternels - tout semble flotter. Et pourtant, le groove avance, obstiné, comme une marche lente vers la rédemption.
Berry Gordy, patron de Motown, déteste. Trop politique, trop risqué. Marvin insiste, menace de tout arrêter. Il gagne. Et la chanson devient le tournant d’une ère : la soul découvre la conscience, la beauté devient un acte de résistance.
Écouter What’s Going On, c’est entrer dans une église sans murs. La foi y est tremblante, humaine, fragile. Chaque note semble dire : nous pouvons encore nous comprendre, si nous écoutons vraiment.
Plus de cinquante ans après, la question reste suspendue dans l’air. Et la voix de Marvin, douce et douloureuse, continue de flotter - comme une prière qui ne s’éteint jamais.