:: What’s Going On : la prière électrique
En 1971, Marvin Gaye déchire son costume de crooner Motown pour enfiler la toge du prophète.
What’s Going On n’est pas qu’un disque : c’est une respiration collective, un chœur urbain où les échos du Vietnam, des ghettos et des prières maternelles se mêlent en un seul souffle. Ici, Marvin ne chante plus pour séduire, mais pour guérir.
Dès le morceau-titre, la basse caresse, la batterie chaloupe, les cuivres pleurent : tout vacille, tout danse. Marvin superpose sa voix comme on assemble un vitrail : chaque piste vocale est un fragment de douleur, de douceur et de révolte. Inner City Blues ferme l’album comme un gémissement infini, un constat amer où la soul devient une arme de velours.
Ce disque est une anomalie parfaite. À l’époque, Motown veut du tube, pas un manifeste. Mais Marvin s’en fout : il enterre les hits à paillettes pour exposer les cicatrices d’une Amérique fracturée. Il produit lui-même, choisit ses musiciens, impose ses chœurs éthérés. La basse de James Jamerson se promène librement, la batterie flirte avec le jazz, les arrangements flottent comme une brume de cannabis et de larmes.
What’s Going On est une conversation éternelle : on l’écoute en 2025 comme un murmure à l’oreille - la violence policière, les guerres absurdes, les cris étouffés des mères… Rien n’a changé, sauf peut-être l’urgence de réécouter. Marvin Gaye, fragile et furieux, chante toujours au milieu du chaos. Sa question résonne : Who really cares? La réponse tient dans chaque battement de caisse claire : si nous ne tendons plus l’oreille, personne ne le fera à notre place.